Récit d’exil 

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La vie de Francisco est un vrai thriller

Certains fuient leur pays à cause de la guerre, d’autres à cause de la famine ; Francisco, lui, a fui le sien parce qu’il luttait contre la corruption. Aujourd’hui, à 69 ans, quand il ne se débat pas avec les dossiers administratifs de la CAF (Caisse d’allocations familiales), de la CNAV (Caisse nationale d’assurance vieillesse) et de son bailleur social, Francisco peint et fait de la musique. Il joue de l’harmonica, organise des concerts avec des amis musiciens dans des bars ou des boîtes de jazz, et anime une émission de radio écoutée jusqu’en Amérique latine sur Fréquence Paris Plurielle, Aqui somos, Aqui estamos (1).

De l’insouciance à la lutte contre la corruption

Francisco est mexicain, né d’une femme de tête et d’un entrepreneur qui ont su lui inculquer des valeurs d’intégrité, d’honnêteté et d’altruisme dans un pays totalement gangrené par les mafias et la corruption. À 14 ans, il ne pense qu’à s’amuser et s’adonner au plaisir du skate-board. À 16 ans, c’est la moto qui le passionne. À 20 ans, il se marie, a un fils et enchaîne les petits boulots sans lendemain. Jusqu’à ce que son père le secoue pour lui faire prendre ses responsabilités. Il passe alors le concours organisé par le ministère de l’Intérieur pour remplacer 3 000 agents d’immigration limogés pour corruption. Contre toute attente, le garçon qui avait préféré s’entraîner au surf à Cancún plutôt que de se préparer, est reçu premier au concours. Un changement drastique s’opère alors en lui. Il choisit une affectation à Union Juarez, au sud, à la frontière avec le Guatemala. C’est là qu’il prend toute la mesure de la tâche qui l’attend. À la direction de l’Immigration, la corruption est instaurée en système qui touche tous les niveaux de la hiérarchie, à l’exception de la directrice qui lui fait confiance et lui octroie des fonds exceptionnels pour sécuriser la frontière transformée en passoire.

Durant six ans, il arpente son territoire, le Chiapas, et apprend à connaître tous les trafics – d’êtres humains, de drogue et d’armes. Il monte des équipes vertueuses, du moins pour quelque temps, mais pour qui l’appât des dollars se fera le plus fort. Et il ne se fait pas que des amis parmi ses collègues qui n’apprécient pas ses manières de chevalier blanc. Puis il est affecté à l’aéroport de Mexico, l’un des plus importants lieux de trafic d’êtres humains. En un an, il renouvelle tout le personnel d’immigration sans se faire trop d’illusion quant à la pérennité de son action. Monté en grade, il est envoyé dans l’état d’Oaxaca et, à la demande du gouverneur, enquête sur le chef de la police, celui de l’Immigration et de l’Etat civil pour confirmer ses craintes : ils sont effectivement tous corrompus. Ses actions dérangent et un garde du corps lui est alloué. Mais elles impressionnent aussi en haut lieu, et le ministère de l’Intérieur décide de le nommer enquêteur spécial à la Police judicaire. Il n’y est pas particulièrement bien reçu par des collègues qui n’apprécient pas que ce gringalet vienne mettre son nez dans leurs trafics.

La pression psychologique et physique

Que ce soit à Mexico même ou dans les différents états où il est envoyé en mission, l’officier Francisco Guanabacoa est à plusieurs reprises l’objet de machinations sordides destinées à le corrompre à son tour. Trois fois, il se retrouve emprisonné, atrocement torturé sans que sa hiérarchie le défende. Un jour d’avril 2000, alors qu’il rentre chez lui, le hall de son immeuble est arrosé par des tirs de mitraillette. C’en est trop pour sa femme qui décide de le quitter avec leur enfant. Malgré cela, il poursuit sa croisade, « il y a encore trop à faire ».

Son frère est assassiné sous couvert de suicide. Son cousin qui travaillait avec lui est assassiné. Son père est harcelé, mais Francisco n’abandonne pas. Il sait que plusieurs de ses chefs sont des trafiquants. Il sait qu’au plus haut niveau du pouvoir, la corruption règne, il sait beaucoup de choses qui dérangent. Il apporte à des amis journalistes des kilos de documents à l’appui de ses révélations. Mais eux-mêmes font l’objet d’intimidation quand ils ne sont pas liquidés à leur tour.

Et puis, il y a l’attaque de trop. Le 31 décembre 2005, Francisco veut passer le réveillon avec son père et sa sœur. Alors qu’il descend de sa moto, il est victime d’une violente agression. Un coup de canon lui fracasse la mâchoire. Cette fois encore il s’en sort, mais il sait que ce sera la dernière.

La fuite et l’exil

Il s’enfuit alors au Canada où le droit d’asile lui est refusé. Expulsé vers le Mexique, il est sauvé in extremis par des amis qui l’exfiltrent vers le Japon où il ne peut rester qu’une petite année, les Nippons n’acceptant pas les réfugiés. Grâce à Reporters Sans Frontières, il rejoint la France où il dépose une nouvelle demande d’asile, rejetée par l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides ) puis la CNDA (Cour nationale du droit d’asile ). Désespéré, il est heureusement soutenu par la CIMADE (2) qui va l’aider à faire un recours auprès du tribunal administratif, obligeant l’OFPRA à prendre en compte les preuves apportées à l’appui de sa demande. Le 2 novembre 2016, il obtient enfin son statut de réfugié !

Emmanuelle

Pour en savoir plus sur la vie de Francisco, vous pouvez lire son récit d’exil dans Tout est vrai, sur https://www.emmanuelledeverdilhac.fr/

  1. Peut se traduire par Ainsi nous sommes, ici nous sommes.
  2. C’est là que Blandine, alors bénévole à la Cimade, rencontrera Francisco, qui devint par la suite l’un des premiers accompagnés de la toute jeune association Tandem Réfugiés.

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