Si l’administration* a refusé le statut de réfugié à une personne, celle-ci peut faire un recours devant la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) à Montreuil. Le jour de sa comparution, elle peut être assistée d’un(e) avocat(e) qui, comme Virginie Dusen, a un rôle capital dans le processus d’obtention de son statut. Nous avons rencontré cette femme passionnée par son métier.
* L’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA)
Pourriez-vous nous dire en quoi consiste votre rôle ?
Je commence par vérifier que le dossier remplit bien les critères de la Convention de Genève qui protège toute personne craignant pour sa vie dans son pays, en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques. Si la personne est venue pour travailler ou pour se faire soigner par exemple, elle ne peut en aucun cas prétendre au statut de réfugié.
Ensuite, ensemble, nous préparons son dossier. Pour cela, j’ai besoin de connaître son histoire car, dans ma plaidoirie, je dois mettre en valeur des éléments factuels susceptibles de convaincre la cour. Je prépare aussi le demandeur d’asile parce que la CNDA est impressionnante et c’est un moment décisif pour lui ! Dans tous les cas, quand j’accepte un dossier je vais à l’audience pour gagner !
Comment les choses se passent-elles concrètement le jour J ?
Je suis à ses côtés et le demandeur doit raconter, une fois encore, devant les juges son histoire toujours dramatique, tout en essayant de dominer les émotions que ce récit fait revivre. La comparution est en principe publique, mais si je vois que des éléments sont difficiles à raconter devant tout le monde ou que la sécurité du demandeur peut être menacée (on ne sait pas qui assiste à l’audience !) je peux demander au juge que la séance ait lieu à huis clos, c’est à dire porte fermée.
Quelle satisfaction, lorsque c’est le cas, de permettre à quelqu’un de passer à autre chose et de se tourner enfin vers l’avenir !
Quels sont les cas qui vous ont le plus touchée ?
Il y a des cas que je n’oublierai jamais !
Je pense à cette femme militante politique qui avait risqué sa vie dans son pays à cause de son engagement, dont le premier mari avait été assassiné pour la même raison et qui ensuite s’était mise en couple avec un autre homme qui s’est avéré être un véritable monstre ! Les femmes subissent souvent une double peine…
Ou bien à ce couple dont je me suis rendue compte en pleine audience qu’ils étaient en train de se séparer ! La femme portait une telle charge émotionnelle que pendant que je plaidais elle a eu un malaise et que les pompiers ont dû l’emmener à l’hôpital. J’avais compris que si on reportait l’audience, leurs dossiers seraient dissociés compte tenu de cette séparation et que l’homme avait toutes les chances d’obtenir la protection, mais pas elle. J’ai donc insisté pour continuer l’audience et ai modifié ma plaidoirie en utilisant les pièces du dossier pour lui, mais aussi pour elle et on a gagné pour les deux !
Je me souviens aussi de ce jeune garçon qui, en 2006, était convoqué à la CNDA, mais était bloqué simultanément à l’aéroport Saint-Exupéry à Lyon. Il allait être expulsé de France le lendemain, un samedi… Par conséquent, la cour l’a convoqué d’urgence la veille. Il est arrivé menotté. Pendant qu’on préparait la salle, je lui ai parlé. Et j’ai plaidé sans bien connaître son dossier ! Il y a eu ce qu’on appelle une décision sur le siège. Cela signifie que les juges ont donné leur décision immédiatement après avoir délibéré, ce qui est exceptionnel ! Et il est reparti avec son statut…
Avez-vous toujours voulu pratiquer votre métier dans le domaine du droit d’asile ?
Pas vraiment ! J’étais une bonne élève, mais j’ai choisi le droit par élimination, car on pouvait toucher à beaucoup de domaines. A 25 ans, j’ai prêté serment. Pendant six ans, j’ai travaillé dans un cabinet d’avocats comme associée et n’ai fait que du droit des affaires. J’étais très loin du droit d’asile même si, contrairement à ce que l’on pense, il y a de l’humain dans le droit des affaires et cet aspect m’a toujours passionnée ! En revanche ce qui me manquait, c’était de ne pas beaucoup plaider. J’allais quand même au Palais une fois par semaine pour faire des permanences de gardes à vue. Dans ce cadre-là, en 1999, j’ai eu mon premier dossier d’asile que j’ai d’ailleurs perdu !
L’année suivante, pour plaider davantage, j’ai quitté le cabinet sans clientèle… Rétrospectivement c’était risqué ! Aujourd’hui, j’ai un collaborateur et nous sommes débordés. L’asile représente 75% de mon activité et je ne regrette rien, parce que j’adore ce que je fais !
A entendre cette passionnée, on n’a aucun mal à la croire !