Un rayon de lumière dans les ténèbres

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Depuis le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan en août 2021, les femmes sont privées de tous leurs droits fondamentaux. Les écoles secondaires, les universités, les espaces publics, les salles de sport, les emplois publics et dans les ONG leur sont interdits ; les salons de beauté où elles pouvaient se rencontrer et échanger entre elles ont fermé ; depuis peu, elles ne peuvent même plus parler dans la rue. L’un des droits les plus importants est celui d’avoir accès à l’éducation. Or, après le primaire, les filles n’ont désormais plus le droit d’aller à l’école.

« Peut-on tolérer qu’un pays efface et écrase la moitié de sa population ? – Non, si on ne fait rien, on est complice », répond Hamida Aman(1), journaliste afghane vivant en France, directrice de l’organisation non gouvernementale Begum Organization for Women (BOW), créée en 2020 et basée à Kaboul. Cette ONG vise à défendre, soutenir et autonomiser toutes les femmes afghanes.

Hamida Aman est née à Kaboul. Sa famille s’est installée en Suisse en 1981 ; elle y fait des études de littérature et de journalisme. Elle retourne pour la première fois dans son pays natal après les attentats du 11 septembre 2001, couvre les événements, crée une société de production audiovisuelle AWAZ qui veut dire « voix », dont l’activité vise à « inciter la population à voter, les jeunes à prendre leur pays en main, contribuer à créer une unité nationale pour reconstruire le pays » (2).

Quelques mois avant l’arrivée des talibans à Kaboul, Hamida Aman avait déjà lancé Radio Begum – qui signifie reine – entièrement gérée par des femmes et pour des femmes. Première radio privée du pays, elle est légale, couvre une bonne partie du territoire, émet en FM 6 heures de programmes par jour en dari et en pachto, les deux langues du pays. Reporters, chroniqueuses, enseignantes, journalistes, animatrices font résonner la voix des femmes, parlent de leurs problèmes, dispensent des conseils sur la santé ou pour monter un business. Les auditrices peuvent appeler la radio et échanger avec les animatrices des émissions.

La mission principale de cette radio est d’éduquer en apportant l’école à la maison. Elle diffuse des programmes éducatifs de la 6e à la terminale pour des collégiennes privées de collège. Les filles, interdites d’enseignement après 11 ans, peuvent ainsi continuer à apprendre.

Comment cela est-il possible avec un ministère de la Répression du vice et de promotion de la vertu de plus en plus dur ? Pour que la radio continue, Hamida Aman négocie avec les talibans. Les animatrices doivent cacher leur visage ? Elles mettent un voile sauf pour expliquer la physique et les maths. La musique est interdite ? Plus de musique à l’antenne ni de rires, eux aussi interdits. Dans les émissions, on ne parle jamais d’actualité, pas plus que de politique. « Chaque jour que Radio Begum émet est une petite victoire, confie sa fondatrice, car le risque d’être coupé du jour au lendemain est permanent ».

Le 8 mars 2024, Journée internationale des droits des femmes, Hamida Aman va plus loin encore et lance Begum TV, une télé par satellite qui émet depuis Paris. Financée notamment par le ministère des Affaires étrangères et l’ONU, elle fonctionne avec une petite équipe de femmes afghanes réfugiées, des enseignantes, des journalistes, des actrices…Comme Radio Begum à Kaboul, qui émet toujours, elle vise à éduquer les filles et s’adresse aux femmes et aux familles avec des programmes ludoéducatifs.

80% des programmes sont des programmes scolaires. Chaque jour, à partir de 7h30 du matin, des vidéos de 30 minutes de cours intensifs dans toutes les matières des programmes scolaires de la 6e à la terminale sont diffusées en dari et en pachto. Les cours sont disponibles à nouveau l’après-midi et tard le soir pour celles qui ont manqué les cours le matin. En complément, la plate-forme digitale Begum Academy offre en accès libre 8 500 vidéos de cours qui couvrent tous les programmes scolaires officiels.

Les autres programmes sont consacrés aux problèmes rencontrés par les Afghanes : un talk-show appelé Tabassoum (signifiant rire) traite de la santé mentale et du bien-être, avec des psychothérapeutes à Kaboul et à Paris qui répondent aux questions de téléspectatrices anonymes ; un autre talk-show dispense des informations sur la santé. « Émettre depuis Paris permet une liberté de ton et de parler de sujets bien plus variés sans tabous », souligne Hamida Aman(3). Les animatrices, journalistes et même actrices réfugiées sont à Paris. Elles apparaissent non voilées, maquillées, élégamment vêtues. Des visages, enfin. Pour celles qui ont pu prendre le chemin de l’exil et participent à TV Begum, apporter soutien et réconfort à leurs sœurs, plongées par le régime au cœur des ténèbres, est une manière de lutter contre le fatalisme, de montrer aux femmes afghanes que leur vie a de l’importance et qu’on se préoccupe d’elles.

« Apporter l’école et le savoir à la maison, de l’information et aussi un peu de joie et de divertissement, c’est permettre aux femmes de panser leurs plaies, d’adoucir leur vie », déclare Hamida Aman(4), une lueur d’espoir qu’elle porte formidablement avec ses équipes.

Marie-Agnès

À consulter également : Droits des femmes : la lutte pour les Afghanes, chassées de l’espace public en Afghanistan, s’organise depuis la France, reportage vidéo de France Info du 9 janvier 2025.

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(1) Interview à la Radio Télévision Suisse, juillet 2023.

(2) Ouest France, aout 2024.

(3) Émission En Société, France 5, 24 mars 2024.

(4) AFP, mars 2024.