Quand un Tandem se transforme en amitié

  • Auteur/autrice de la publication :

Propos recueillis par Anne-Marie

Haroun, tu accompagnes Herman depuis plusieurs années. Vous avez tous les deux 33 ans, parlez-nous de votre enfance.

Haroun : Je suis né en France, mais mes parents voulaient nous offrir une double culture. Avec ma mère, mon frère et ma sœur, nous sommes partis tout petits à Sousse en Tunisie. C’est une ville touristique, on y coupe parfois l’eau des quartiers pauvres pour alimenter les hôtels. Mon père travaillait à Nice, dans le bâtiment. Quand j’ai eu 12 ans, nous sommes revenus en France pour les vacances…et nous y sommes restés. Pour nos parents, nous devions faire de bonnes études, même au prix de grands sacrifices financiers. Avec mon frère, on a fait des petits boulots dans des centres d’appels, et comme maçons. J’ai étudié à Sophia Antipolis, puis à l’université Paris Dauphine ; je suis consultant en informatique.

Herman : Je suis né à Kinshasa en République démocratique du Congo. Mon père est artiste plasticien, et il enseigne dans une école d’art, mais c’est un travail mal rémunéré. J’ai un frère plus jeune ; notre maman qui était couturière est morte il y a deux ans. J’ai eu une enfance heureuse ; nos parents prenaient soin de nous – ils nous ont inscrits dans une école payante. J’ai un bac scientifique biochimie. En 2014, j’ai commencé des études de pharmacie, mais l’université coûtait trop cher. J’ai travaillé pour financer une formation en infographie et maintenance informatique.

Herman, dans quelles circonstances as-tu fui ton pays ? 

Herman : Je gérais un « taxiphone » (cybercafé) où j’apprenais aux jeunes à utiliser un ordinateur. Je les aidais pour leurs démarches sur internet, création d’adresse mail, édition de tracts, flyers. Des membres du MLP (Mouvement lumumbiste progressiste) étaient mes clients, et je suis devenu membre actif de ce mouvement. En 2015, j’ai été nommé secrétaire pour la jeunesse des quartiers. Les problèmes ont commencé lors de la préparation des élections de 2018 : il y avait des doublons dans les listes électorales, et on a demandé le nettoyage des fichiers. Le MLP a été banni des élections. Des policiers sont venus plusieurs fois chez moi et m’ont menacé, puis arrêté et torturé. J’ai dû me réfugier à Brazzaville, mais j’étais encore en danger. Il me fallait aller dans un pays où les droits de l’homme sont respectés. Je suis arrivé en France en 2019, en laissant ma fille de 7 ans à mes parents. Cela a été très brutal, très dur ; j’ai dû tout abandonner, alors que j’étais dans mon droit.

Comment s’est passée ton arrivée en France ?

Herman : Je suis arrivé en hiver, j’ai passé plusieurs jours dehors. Le 6e jour à la gare du Nord, un Congolais m’a dirigé vers un CCAS (Centre communal d’action sociale). Faute de place, ils m’ont juste donné un manteau. Le lendemain, j’ai eu un hébergement par le 115, et j’ai rédigé mon histoire pour la demande d’asile. La préfecture m’a rapidement délivré un récépissé et mis en contact avec l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration). J’ai souvent dormi dehors, mais au bout d’un mois, j’ai eu un hébergement au CADA (Centre d’accueil pour demandeurs d’asile) de l’Armée du salut à Ris-Orangis.

Vous avez tous les deux des expériences de vie associative, pouvez-vous nous raconter ?

Herman : Dans l’attente de ma convocation à l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) pour ma demande d’asile, je n’avais pas le droit de travailler. On m’a proposé d’intégrer le Secours Catholique à Évry en mai 2019. Au début, on me demandait : « Tu viens pour apprendre ou pour aider ? ». Je répondais : « Pour aider les jeunes », et je suis devenu bénévole pour l’alphabétisation des étrangers pendant six mois. Au Congo, je donnais des cours d’informatique et de bureautique ; j’aime enseigner. J’étais aussi bénévole dans une épicerie sociale à Saint Michel-sur-Orge. Les autres migrants me disaient : « Tous les jours tu te lèves tôt, tu travailles gratuitement ! ». Ils me prenaient pour un fou, mais ils ajoutaient : « C’est sûr que tu obtiendras l’asile ». Moi, je voyais le positif : je rencontrais des gens, et j’emmagasinais de l’expérience. Fin 2019, j’ai obtenu ma carte de réfugié pour dix ans. 

Haroun : Adolescent, j’ai côtoyé des immigrés de tous les pays, hébergés dans des foyers Sonacotra. Mon père avait la réputation d’aider les gens pour leurs démarches administratives, mais comme son français n’était pas parfait, je l’aidais souvent. Après mes études, j’ai participé pendant trois ans à l’AFEV, un réseau d’étudiants qui accompagnent des enfants en difficulté au collège et aident les lycéens à préparer leurs études supérieures. 

Tandem vous a mis en contact ; pouvez-vous raconter comment ?

Haroun : En 2020, je cherchais une association à taille humaine. J’ai laissé un message sur le site de Tandem Réfugiés, et rencontré Blandine. Mais comme mon travail ne me permettait pas de participer aux réunions hebdomadaires des accompagnateurs, mon profil ne convenait pas. Pourtant, elle m’a parlé d’Herman, un homme de mon âge qui cherchait un apprentissage en informatique. Je l’ai aidé à bien préparer son CV, c’était assez simple car il a un bon bagage intellectuel. 

Herman : En février 2020, j’étais préparateur de commandes chez Amazon à Brétigny, mais c’est un travail physique, et comme j’ai gardé des séquelles de tortures, je souffre énormément du dos. J’ai commencé une formation de technicien assistance informatique qui devait durer 18 mois, sous réserve de trouver une entreprise pour l’alternance. L’école m’a mis en contact avec Tandem. On a échangé avec Haroun, il était vraiment gentil et disposé à m’aider. Il m’a donné des pistes pour envoyer mon CV, mais on n’a pas trouvé d’entreprise, et la formation s’est arrêtée. Découragé, j’ai pris un travail chez Carrefour, comme chauffeur-livreur et préparateur en entrepôt, et validé un CAP en 2021. Je vivais dans un foyer de jeunes travailleurs et étudiants. Avec mes fiches de paie, j’ai pu commencer à chercher un logement pour faire venir ma fille. C’était difficile, mais Haroun m’a encore aidé. Il m’a fallu deux ans pour trouver un logement.

Vous semblez très complices, peut-on dire que vous êtes devenus amis ?

Herman : Nous sommes amis et tous les deux fans de foot ; j’aurais aimé devenir footballeur professionnel. Haroun est un ami précieux, il m’a aidé à faire venir ma fille que je n’avais pas vue depuis cinq ans et qui voulait vivre avec moi. Quand j’ai eu mon appartement, j’ai préparé le dossier pour la réunification familiale. Haroun m’a aidé à comprendre les différentes étapes et m’a mis en contact avec Olivier, un bénévole de la Cimade (association de solidarité envers les demandeurs d’asile) : il a envoyé une lettre à l’ambassade de France à Kinshasa, faute de pouvoir prendre rendez-vous sur le site. Au bout de huit mois, mon ancienne compagne et mes parents ont été convoqués à l’ambassade. Il a fallu encore huit mois pour obtenir une réponse. Olivier et Haroun étaient à mes côtés pour chaque étape. Shekinah est arrivée en novembre 2023, à 12 ans. Elle est entrée en 5e sans avoir à passer par une classe de remise à niveau. L’adaptation n’a pas été simple car même si elle parle français, elle a eu du mal à se faire des amis. Je mets tout en œuvre pour que sa rentrée 2024 se passe bien.

Haroun : Oui, nous sommes amis. Nous nous appelons toutes les semaines, et nous nous voyons régulièrement.

Nous aimons parler de ce qui nous plait ou nous intrigue en France, ce qui diffère des pays où nous avons grandi, le rapport au soleil, du sentiment de vide et de solitude qu’on peut ressentir ici, le manque d’entraide familiale et entre voisins, et aussi de ce qui nous rend heureux.   

Que diriez-vous de Tandem Réfugiés ?

Herman : Blandine est hyper disponible, elle donne énormément de conseils, toute l’équipe m’a aidé à résoudre mes problèmes administratifs et de santé. Grâce aux Cafés Tandem et aux pique-niques, j’ai rencontré beaucoup de gens et je me suis fait des amis. 

Haroun : L’association nous ouvre au quotidien des autres, qui vivent parfois à deux pas de chez nous. Nous découvrons sous d’autres angles ce qui diffère entre nous : nos confessions, nos calendriers, nos cuisines, le statut des femmes. On parle de nos difficultés communes : l’administration, les transports, et les filières de métiers parfois sans cohérence. On partage des sourires ; on reconnait une cicatrice de la vie ; on se réjouit du dénouement d’une situation compliquée. 

Les newsletters et les reportages sont utiles pour éclairer les parcours des réfugiés et éveiller les consciences. Mais ça n’égalera jamais la force des liens qui se nouent dans une association comme Tandem, ni la richesse des rencontres qui permettent de reconnaitre l’humanité entre nous tous.