En août 2015, Mamadou s’enfuit seul de son village (détruit depuis) de la région d’Al-Genaïna au Darfour.
Il traverse le désert pendant neuf jours pour arriver en Lybie où il va passer dix mois, d’abord en prison puis retenu comme esclave. Un vendredi quand tout le monde est à la mosquée, il réussit à s’échapper. Il arrive à Tripoli puis à Sabratha, la « capitale des passeurs de migrants » située à 300 kilomètres des côtes italiennes. De la Sicile à Turin, de Milan à Gênes, il rejoint en bus les camps de réfugiés et termine son périple italien sous les ponts autoroutiers de Vintimille.
Après la frontière, encore beaucoup de barrières
Je rencontre Mamadou chez Joséphine, l’une de ses accompagnatrices de Tandem Réfugiés. Il raconte : « Nous sommes six frères et sœurs. Mon père achète et vend des chèvres, des moutons sur les marchés. Je suis allé à l’école pendant seulement quatre ans, et à l’école coranique le soir. Mes langues maternelles sont l’arabe et le masalit. Dans les camps au Soudan, j’ai connu des français de la Croix Rouge et de l’UNICEF. A Vintimille, ils nous donnaient de la nourriture, des vêtements, de l’eau et du bois pour se chauffer. C’est pour ça que je voulais venir en France, je savais que l’accueil serait bon ».
Mais tout prend du temps. Après plusieurs tentatives, traversant de nuit forêts et montagnes, il arrive à Menton en juin 2016, puis à Marseille et par erreur (il s’est endormi dans le TGV) à Montpellier où, ne parlant pas un mot de français et poursuivi par la police, il reste plusieurs jours sans manger. Puis il connaît la vie à deux ou trois dans les tentes de la Porte de la Chapelle, les transferts en bus vers Saint-Ouen-l’Aumône, les semaines sans pouvoir entrer à la Préfecture et les mois sans récépissé, la menace de devoir retourner en Italie (règlement de Dublin). Il constitue enfin son dossier pour l’OFPRA. Trois mois plus tard, il est convoqué pour un entretien dans sa langue maternelle. Quand il obtient enfin son titre de séjour en janvier 2019, presque trois années ont passé depuis son arrivée en Europe.
Continuer à avancer, épaulé par des femmes généreuses
Depuis 2016, Mamadou prend des cours de français à l’école Thot (Transmettre un HOrizon à Tous). Grâce à une des enseignantes, il rencontre Tandem Réfugiés et Blandine. Elle le confie à Odile qui l’accompagne depuis mars 2019. Cette dernière ne ménage pas ses efforts pour régler les problèmes administratifs, l’aider à trouver une chambre et surtout une place en CAP chez les Apprentis d’Auteuil à Sannois.
Mamadou cherche comment décrire précisément ce qu’Odile représente pour lui : « Elle est incroyable, efficace, je ne trouve pas les mots pour le dire, c’est mon étoile. Elle m’a complètement pris en charge, m’a offert un avenir, la possibilité de m’intégrer, d’apprendre un métier, de trouver un emploi en deux ans ».
Je propose : elle a remué ciel et terre… « Oui, c’est ça, elle ne pouvait vraiment pas faire plus pour moi ».
Alors qu’il a un niveau d’école primaire et maîtrise encore mal le français, il entre « sans avoir peur » en CAP de menuiserie, dans une classe de huit élèves. Rapidement apparaissent des problèmes de vocabulaire (forcément très technique), de calcul et de géométrie.
C’est là qu’intervient Joséphine, professeur de mathématiques nouvellement retraitée, que Mamadou avait rencontrée lors d’une visite au Louvre organisée par Tandem. Elle cible très vite ses besoins, et l’épaule pour la lecture des énoncés, la compréhension des schémas techniques en trois dimensions, la réalisation de plans… et aussi en français, histoire géo, pour les cours sur les arbres et les forêts.
Chaque samedi, Mamadou vient passer la journée chez elle à Orsay : ils parlent de films, de l’actualité, du Soudan. Comme il aime le rap, Joséphine utilise les textes des chansons pour étendre son vocabulaire, expliquer les subtilités de la langue, les expressions, et même le verlan.
Mamadou, fan de foot (très populaire en Afrique), se révèle plutôt bon en géographie : repérer Guingamp, Monaco, Nantes, Marseille ou Saint-Etienne sur la carte de France ne lui pose pas vraiment de problème !
Découvrir la passion du bois chez les Apprentis d’Auteuil
Grâce à Odile, Mamadou intègre non seulement le CAP « menuisier fabriquant » mais aussi l’internat, ce qui facilite grandement sa vie quotidienne et son parcours scolaire. Deux années sont nécessaires pour comprendre les documents techniques, identifier les bois et dérivés, appliquer les règles de sécurité, apprendre à fabriquer et poser des ouvrages d’ameublement (cuisine, mobilier), d’esthétique (agencement magasins, escaliers), et autres portes, fenêtres, parquets, cloisons.
La formation prévoit un stage de trois semaines ? Odile met Mamadou en contact avec l’ « Atelier Extramuros » à Gennevilliers : ils fabriquent du mobilier sur mesure à partir de bois et meubles récupérés, et pratiquent l’upcycling, concept basé sur l’économie circulaire et l’écoconception. Mamadou y fait un très bon stage… mais oublie un peu la prise de notes. Heureusement, Joséphine sera là pour l’aider à rédiger un rapport de stage en bonne et due forme.
Apprentis d’Auteuil et Tandem Réfugiés : un cercle vertueux
L’enseignement chez les Apprentis d’Auteuil s’appuie sur les relations de confiance avec les professeurs et entre les jeunes. Odile et Joséphine assurent le lien avec l’établissement et ne manquent aucune réunion parents-professeurs.
Le professeur principal note dans son carnet : « comportement exemplaire, progression constante, bonnes notes. S’il continue comme ça, Mamadou pourra intégrer un CAP ébénisterie (une année supplémentaire) ».
Mamadou dit combien il est heureux d’être chez Tandem Réfugiés : « C’est vraiment une bonne association, généreuse et chaleureuse. Je participe aux cafés Tandem, aux rencontres de foot, aux pique-niques. Je suis même parti en vacances en Vendée et j’ai vu le spectacle du Puy du Fou. Grâce à Tandem, j’ai enfin mon avenir à portée de mains ».
Pour conclure, on parle encore râpes, trusquins et ciseaux, et d’un emploi à trouver pour juillet et août… Et aussi d’une nouvelle étonnante : sans carte d’identité et ne connaissant pas sa vraie date de naissance, Mamadou a été enregistré en France comme né le 1-1-1990. Sa famille, jointe au téléphone, vient de lui apprendre qu’il est né en avril 1998. Quand on aime tellement la vie, gagner huit ans ça peut vraiment donner des ailes.
Interview réalisée par Anne-Marie en février 2020
NB : Mamadou ne souhaite pas que sa photo soit publiée, pour des raisons de sécurité. Le prénom a été changé.
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